La Porte Saint-Jacques, Porte Dorée, ou des Sans Culottes
Cette porte tenta souvent
le crayon ou le pinceau de nos plus habiles artistes qui nous donnent une vue
exacte de ce monument aujourd’hui disparu. Médiocre mais
incontestable compensation que ces images, pour les archéologues, les
historiens et les artistes, qui se seraient tant réjouis, s’ils pouvaient
contempler, encore debout, l’édifice dont les pierres désagrégées et
dispersées ne parlent plus.
Erigée à la naissance
d’une des principales artères de la cité troyenne, imposante et gracieuse à la
fois la porte Saint-Jacques se distinguait des autres portes de Troyes,
généralement lourdes et massives, par des proportions sveltes et élancées.
Le
comte Thibaud IV qui s’était rebellé avec d’autres grands féodaux
contre la couronne en 1226, s’était remis l’année suivante sous l’autorité
royale. Alors ses anciens alliés « commencèrent à gaster la terre au
comte de Champagne, car ils l’avaient en grande haine pour ce qu’il s’était
accordé au roi ». Les années 1229-1230 virent l’invasion et la
guerre en Champagne. C’est en cette période que Thibaud IV fortifia ses possessions.
A Troyes, l’enceinte
s’arrêtait alors, à l’est de la ville, au ru aux Cailles, et s’ouvrait
par la porte aux Cailles. Thibaud IV porta la nouvelle enceinte plus en
avant, toujours dans la direction de l’est, et fit creuser de grands fossés
pour la protéger. L’issue de la ville sur ce nouveau rempart s’ouvrit au-delà
de la porte des Oursiers, par une nouvelle porte, dans la direction du
bourg Saint-Jacques. Le nom de porte Saint-Jacques ne lui fut pas
donné de suite : en 1239, elle est citée comme étant « la porte entre
la porte des Orsiers et le bourg Saint-Jacques ». Elle avait 15
clés.
Cette
porte était une redoutable défense, avec ses meurtrières, mâchicoulis,
pont-levis… Elle se composait d’un corps de maçonnerie flanqué de 2 tours à 3 étages, au milieu desquelles se
dressait un avant-corps servant d’appui à 2 contreforts, qui supportaient de
leur côté des tourelles assises sur un cul-de-lampe chargé de
moulures. Au-dessus de l’entrée du porche était un cadre en ogive formé de
grosses saillies, et, sur le grand comble du monument, s’élevait un clocher percé sur chaque pan d’une ouverture dont le
haut était taillé en trèfle. La pointe de l’aiguille qui terminait le clocher
était formée par un épi à
fleurons de plomb. On ne comptait pas les fleurons de plomb qui dessinaient sur
les portes ou se détachaient sur les toits. L’azur, le vermillon, le sinople,
l’or, se mariaient ici et là dans une savante harmonie.
Cette
porte fut magnifiquement décorée, la ville apportant tous ses soins pour embellir cet ouvrage militaire.
Ses toits étaient couverts avec 46.500 ardoises. Il y avait 9 bannières d’airain et de cuivre fin, mobiles
sur leur axe et tournant au gré des vents. Une bannière « pour le guet de Saint-Jacques » était faite
de toile perse bleue semée de fleurs de lys jaunes. De plus, la Ville fit embellir la porte de peintures
ornementales qui firent la
renommée de cette porte dont l’« Annonciation de la Vierge » (thème
favori), peinture sur bois. Des sculptures, des statues (dont un
grand « Saint-Jacques »), dues aux ciseaux d’artistes de renom, tels
que Jacques Le Cordouanier, complétaient la décoration. Sur la façade principale
se découpaient les armes de France et celles de Champagne, peintes
d’azur, et dorées à l’or fin. Tous ces ornements, ces décorations
multiples, justifiaient amplement, à n’en pas douter, l’appellation courante de
la porte Saint-Jacques. Pour le peuple, pour tous et pour chacun, c’était la
« Porte Dorée » ! « Le bon troyen n’y passait jamais sans
relever instinctivement la tête, sans la saluer toujours du même et fier
regard ».
Sa reconstruction fut
envisagée au début de l’année 1395, et dura jusqu’en 1403.
De 1461 à 1463, la ville parfait la porte en la réparant et en la
décorant. Au XVe siècle,
le terrain, compris entre la porte Saint-Jacques et le bras de la Seine qui
sépare la ville du faubourg, fut réuni à la ville, afin d’établir un
« ravelin », ouvrage avancé des fortifications, dressé pour protéger
cette porte. Jehan Gayde commence le 15 octobre 1513 les travaux de
maçonnerie au chevet du boulevard de la porte Saint-Jacques. Ces travaux, menés
rondement, sont achevés à la fin du mois de novembre. Ce bâtiment de la porte Saint-Jacques,
toujours entretenu et de solide construction, traversa le temps sans encombre
jusqu’au XIXe
siècle. Cet édifice militaire se trouvait être la plus ancienne des portes
fortifiées de la ville de Troyes.
Chaque âge se
plaisait à rappeler les événements notables accomplis à la porte Saint-Jacques,
et les générations s’en transmettaient le récit d’abord fidèle, détaillé,
puis amplifié. Le 10 juillet 1429, c’est par la porte Saint-Jacques
que Jeanne d’Arc était sortie, à la tête de l’armée libératrice qui
conduisait Charles VII au
sacre de Reims. C’est à la Porte Dorée que, le mardi 5
avril 1594, se présenta le héros envoyé par Henri IV pour hâter la soumission de la ville à l’autorité
royale. Les négociations furent courtes : les Troyens voyaient dans la
reconnaissance du Béarnais comme légitime souverain le terme de toutes les
misères engendrées par la guerre civile, et l’allégresse se donnait alors libre
cours, car la reddition de la ville de Troyes entraînait la sujétion de toute
la province de Champagne. A la visite de Louis XV, le 12 novembre 1744, une réception solennelle
avait été organisée aux abords de la porte Saint Jacques. Les milices, les
autorités attendaient là le « Bien-Aimé », qui fit son entrée au milieu
des salves de l’artillerie et des vivats d’une population en délire. Le 3
avril 1805 fut pour la porte Saint-Jacques une date mémorable
entre toutes, un jour à inscrire à perpétuité dans ses fastes. Elle vit passer
sous son porche le grand Napoléon, acclamé par les habitants du
Quartier-Bas. Moins de 10 ans après, le 5 février 1814,
l’Empereur repassait sous la porte Saint-Jacques, cette fois, sans
concours de peuple ni cris joyeux, au milieu du silence et de la consternation.
D’autres guerriers, d’autres souverains suivaient de près, et les alliés
traversaient deux jours plus tard l’antique porte « humiliée et comme
déchue ». Un heureux retour de la fortune ramenait bientôt l’armée
française et son chef refoulant les troupes ennemies vers Brienne et Bar-sur-Aube.
Le Quartier de Saint-Jacques résonnait de nouveaux cris d’espérance.
C’était le 25 février. L’illusion de dura guère, et le désastre définitif
était proche. Le 29 mars suivant, à 10 h du soir, Napoléon
rentrait à Troyes par la porte Saint-Jacques, obscure et muette, qui le voyait
pour la dernière fois. La vieille Porte Dorée revêtait un nouvel
aspect de fête, le 17 septembre 1828, ses peintures étaient
rafraîchies en l’honneur de Charles X, qui venait ce jour-là visiter la
cité troyenne. Le roi fut reçu sous un arc de triomphe, puis il pénétra dans la
ville au bruit des cloches et des acclamations des habitants, qui remplissaient
les rues décorées de feuillage et de draperies blanches. Avec l’entrée
de Louis-Philippe, le 29 juin 1831, l’antique porte Saint-Jacques
assistait à une dernière solennité royale et ne devait plus retentir de
pareilles décharges de mousqueterie.
Combien de personnages
considérables, princes ou seigneurs, la porte Saint-Jacques ne vit-elle pas
défiler pendant le cours des siècles ! Le nom de la porte Saint-Jacques
avait été mêlé à une foule de faits notables de l’histoire locale. Malheureusement,
dans le cours du XIXe siècle,
à Troyes comme ailleurs, le caprice administratif a renversé trop de monuments
pouvant être conservés à l’admiration des archéologues et des touristes, car
ils étaient de curieux spécimens qui dotaient notre ville d’un caractère et
d’une physionomie qu’on ne lui rendra jamais. Ce fut un dépit, mélangé de
colère pour les générations suivantes, ressenti à la pensée que ce sont
des bras humains qui ont tranquillement installé la sape et la mise aux
fondements d’édifices aussi solide que la porte Saint-Jacques !
Une démolition exécutée
froidement par une administration aveugle, de complicité avec une population
ignorante ou insouciante. La porte Saint-Jacques, vieille de plus de 4
siècles, ayant traversé les vicissitudes humaines, avait survécu à l’action du
temps, résisté aux colères de la nature, soutenu le choc des invasions,
lorsqu’on s’aperçut un jour qu’elle gênait la circulation ! Les
voitures de paille et de foin ne pouvaient pas passer sous son porche !
« Les trois sources de la richesse nationale, l’agriculture, l’industrie,
le commerce, étaient atteintes, sinon taries. Il fallait vivement
supprimer l’obstacle à la prospérité publique ! ». Quelques
archéologues élevèrent bien certaines réclamations en faveur d’un
édifice considéré comme un échantillon rare, peut-être unique,
d’architecture militaire. Des esprits positifs opinèrent qu’on aurait
probablement tort de sacrifier à la légère un bâtiment qui « avait coûté
cher de beaux deniers et représentait un important capital ». Enfin,
des citoyens « simplement avisés proposèrent de conserver la porte sans
empêcher l’accès des fameuses voitures chargées à la perche : on pouvait
se contenter de décrire de chaque côté un passage
demi-circulaire ! ». De nombreux appels en grâces eurent
lieu en faveur d’un monument condamné à la démolition.
La
prise de Saint-Dizier en 1544, avait fait de la ville de Troyes un rempart de
l’ancienne France, et, du côté de la ville où est située la porte
Saint-Jacques, la première barrière à opposer aux irruptions des Allemands. Aussi, François 1er avait-il
mit tous ses soins à fortifier cette entrée, qui n’était alors fermée que par
le bras de la Seine qui coule entre Saint-Nizier et Saint-Martin-ès-Aires. Ce
fut le grand duc de Guise, gouverneur de la province qui vint ordonner et
presser les ouvrages. Et, ce qu’il est intéressant de rappeler, parce que c’est
encore un témoignage de patriotisme de nos ancêtres, les frais de cette
porte et des fortifications furent faits en grande partie et spontanément, par
les habitants de Troyes.
Rebaptisée Porte des
Sans Culottes en 1793, la porte Saint-Jacques est démolie fin
avril 1832, le
conseil municipal considérant que : « notamment dont la ruine
paraît très prochaine, et offre beaucoup de danger pour la circulation, que par
conséquent on ne peut différer de l’abattre ». Il existe pourtant une
rescapée de cette disparition, que l’on peut encore voir juchée au sommet de la tour de l’église
Saint-Nizier. Il s’agit de la cloche du guet de la porte Saint-Jacques qui prenait place
dans le petit clocher au-dessus des combles.
Ce
bâtiment de la porte Saint-Jacques, toujours entretenu et de solide
construction, traversa le temps sans encombre jusqu’au XIXe siècle. Cet édifice militaire se trouvait
être la plus ancienne des portes fortifiées de la ville de Troyes. Ainsi
disparut, et c’est fort regrettable, la plus ancienne porte fortifiée de la
ville de Troyes, dont le souvenir nous est gardé par les nombreuses vues du XIXe siècle.
Disparurent
aussi, l’une après l’autre, les diverses parties de l’imposante ceinture de
pierre de la ville de Troyes !
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