Située au sud-est de
Rumilly-lès-Vaudes, dans la direction de Jully-sur-Sarce, sur la route de
Fouchères à Vougrey, cette vielle maison de maître est pleine d’histoire
de ses anciens occupants. La plus ancienne mention les concernant nous reporte
à la fin du XVIe siècle, et l’on découvre un Jean Petitpied,
seigneur, entre autres, de la Rocatelle. Sa fille Hélène épouse Jacques le
Boucherat, qui devient ainsi nouveau seigneur de ce domaine en 1601. Autorisé
par le roi, en 1609, à élever sur ses terres, des « fourches
patibulaires », il meurt en 1625.
Son
fils Jacques II lui succède, l’année suivante. Membre de l’élection
de Troyes, il devient ensuite « maître d’hôtel du roi » et cède
bientôt la place à son fils Charles qui naquit de Gabrielle Rémond,
son épouse. Auparavant, il avait donné, en échange d’un arpent de pré de
l’Eglise, 5 quartiers de pré, lieudit le Poirier au Héron, tenant d’un bout à
la rivière d’Hozain et d’autre sur les champs de Molesme, avant de léguer,
en 1650, tous ses biens à ses enfants, ce qui lui permettra d’évoquer son âge,
75 ans en 1674, et le fait de n’avoir plus rien qui lui appartienne, pour
ne pas répondre à la convocation qui lui sera faite de partir au service du
roi. Il est vrai que c’était l’époque de la Fronde, et que Jacques et
Charles Boucherat, père et fils, se targuaient de n’être pas d’accord avec le
monarque. Ils avaient suivi en 1649, au Palais royal à Troyes, cette assemblée
générale préparatoire aux Etats-Généraux, qui avait voulu se prendre plus au
sérieux qu’il n’aurait fallu. Un auteur anonyme en a raillé les
participants :
« Les seigneurs de la Rocatelle
Couverts de clinquants et de dentelles,
Leurs panaches sur leurs chapeaux
Parurent presque les plus beaux ».
Charles avait donc hérité
du fief quand il épousa, en 1650, Anne de
Chastellux, baronne d’Avignot. C’est lui qui fit, sinon reconstruire la maison,
« autrefois toute simple, avec grange et pourpris (enceinte, enclos), 250
arpents de terre, pré et bois », mais qui la fit transformer,
puisqu’en 1718, c’était un château qu’il habitait. Charles Boucherat eut à
répondre plusieurs fois à des convocations adressées par le Bailli de Troyes.
L’une d’entre elles ordonne « aux gentilshommes et autres sujets
au ban et arrière ban de Sa majesté ci après nommés… de se trouver au mardi 24
du présent mois (en 1691), 4 heures après midi, au devant du palais royal de
Troyes, montés et équipés, pour l’exécution des ordres du Roi... ».
Il fut maître d’hôtel du roi, cornette, puis capitaine. En 1693, un an avant sa
mort, il occupait la place de « guidon », c’est-à-dire la seconde
place après l’officier d’une compagnie de cavalerie. Il meurt sans laisser de
descendance. Son épouse le suivit jusqu’au 1er août 1713. Elle
était âgée de 75 ans, et fut inhumée « proche son banc, dans le chœur de
l’église de Rumilly ».
Le
domaine est alors loué à Edme Joly, jusqu’à ce qu’il soit vendu, en 1718,
par Achille Balthazar de Fourey (fils d’Henri et de Madeleine
Boucherat), à Charles, Armand Flobert, écuyer, gendarme ordinaire de la
Garde du Roi, demeurant à Troyes, qui laissera son nom à un lieudit de Rumilly,
« le Pré Gendarme ». Il eut plusieurs enfants qui ne vivront que peu
de temps. Il reste donc sans héritiers directs. Un de ses cousins prend sa
succession, Louis Lerouge, qui épouse en 1737, Edmée, fille d’Edme
Jolly, bailli gruïer de Rumilly. Celle-ci meurt l’année suivante, en donnant
naissance de jumeaux.
La
propriété passe ensuite, vers 1757, à Claude Labille, parent des
Joly, et changeur pour le roi à Bar-sur-Seine. Celui-ci cumule le titre
de seigneur de la Rocatelle et la charge d’amodiateur de la
seigneurie de Rumilly. Il décède en 1781 et est enterré à Rumilly.
Etienne
Charpy Labille est signalé
en 1784, et Madame Veuve Charpy Labille Marie Ursule, qui y demeurera
pendant toute la période révolutionnaire. Elle recevra, après 1793, les
prêtres insermentés, leur offrira asile, mettra à leur disposition se
chapelle particulière, et favorisera, en cas de danger, leur fuite du côté de
la forêt. Elle résiste aux réquisitions et, régulièrement, quand la loi se fait
moins rigoureuse, déclare « choisir sa chapelle pour l’exercice du culte
catholique ».
Une
des nièces de la propriétaire, Marie, Marguerite Charpy, épouse en
1800, Jean-Baptiste, Parfait Recoing, qui entre donc à la Rocatelle. Un de
ses fils nait sourd-muet, ce qui l’amène à se consacrer aux études pour le
soulagement de cette infirmité. Son autre fils, Pierre-Antoine fut
nommé trésorier de la fabrique, où il passe 4 années d’efforts consacrées à la
réparation de l’église, puis est élu président en 1864. Pierre, Antoine Recoing
fut élu maire de Rumilly le 30 avril 1871. Il invitait tous les
lundis de Pâques à la Rocatelle, les ouvriers qu’il comptait employer pour la
moisson et leur offrait des « roulées ». Ceux qui acceptaient de
manger les œufs durs avec lui, étaient virtuellement engagés pour les travaux
de l’été. En 1876, les 2 familles Recoing quittent la commune.
Les
plans des locaux actuels ne correspondent plus à ceux des anciens
bâtiments. La grille splendide qui s’ouvrait à l’entrée de la cour
principale, et qui était encore en place en 1930, a disparu,
quand Messieurs Rietsh devinrent propriétaires du domaine. Ce sont
eux qui équipèrent la Rocatelle d’une scierie mécanique destinée en plus à
alimenter la propriété en électricité.
Aujourd’hui,
on s’interroge toujours sur la présence d’os humains dans les murs de
la clôture sud de la cour. On s’inquiète également de la sonorité qui existe
encore sous l’escalier du bâtiment principal, parce que l’on sait qu’on y a
autrefois découvert une cavité, sorte d’entrée d’un souterrain possible.
La
Rocatelle d’aujourd’hui n’est plus qu’une ferme comme les autres, au
sud-est de Rumilly, dans la direction de Jully, sur la route de Fouchères à
Vougrey.
Au point de départ, un ouvrage. Le combat des obscurs de Roger Gallery, paru en 1996. Un livre consacré aux héros aubois de la Résistance. « Ce massacre était évoqué, mais de manière vague. Nous ne voulions pas que ces faits demeurent inconnus », se souvient André Lacroix, alors premier magistrat de Jully-sur-Sarce et proche de l’auteur. Les autres maires des communes concernées (Vougrey, Lantages, Rumilly-lès-Vaudes) et lui, en compagnie de Bernard de la Hamayde et Jean Daunay, se sont alors rapprochés dans le but de faire ériger une stèle, sur les lieux de La Rocatelle, le long de la RD81, en face de la ferme.
Près de 500 personnes lors de la pose de la première
pierre
En parallèle, un comité, « sans statut, mais avec un
compte en banque », est créé en 1997. André Lacroix est désigné président. Un
poste qu’il occupera pendant 20 ans, jusqu’à la reprise en main récente de la
municipalité et du Souvenir français pour la cérémonie et l’entretien du
monument. « L’argent qui restait est revenu au second ».
Quant au financement de la stèle, outre les
subventions communales oscillant entre 1 500 et 3 000 francs, une souscription
publique est lancée. « Elle a recueilli des dons de particuliers de nombreuses
communes extérieures (jusqu’à Saint-Florentin dans l’Yonne), pouvant aller
jusqu’à 500 ou 1 000 francs. Une belle générosité qui ne se verrait plus
forcément aujourd’hui », estime André Lacroix.
Pour « un coût de 36 780 francs », la stèle a vu le
jour, tout au long de l’année 1997. Le 4 mai, une cérémonie de la pose de la
première pierre est même organisée, en présence du général Porret et d’une
forte délégation de militaires. « Deux cars étaient venus », confie Jacqueline
Lacroix, l’épouse d’André, très impliquée dans l’organisation. « Nous devions
être proches des 500 personnes. Ce sont des choses que l’on n’oublie pas »,
ajoute le mari. Surtout que des entreprises locales, notamment pour la confection
du terrain, ont joué le jeu en fournissant leurs services sans contrepartie.
L’inauguration du monument entièrement réalisé a eu
lieu quelques mois après, le 27 septembre. Cette année marquante, le couple
Lacroix l’a consignée dans un livre d’or, fait de photos et de textes,
notamment du regretté Roger Gallery. Quant aux cérémonies suivantes, organisées
le plus proche possible des dates anniversaire, elles ont bien sûr perdu en
affluence au fil du temps. Même si l’amicale du « 15-1 » est fidèle au poste. «
Nous ne sommes désormais guère plus qu’une centaine », constate André Lacroix.
Qui, à 88 ans et si sa santé lui permet, entend bien être à La Rocatelle le 23
juin prochain.
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