jeudi 23 mai 2024

La Rocatelle devenu lieu de recueillement

 


Située au sud-est de Rumilly-lès-Vaudes, dans la direction de Jully-sur-Sarce, sur la route de Fouchères à Vougrey, cette vielle maison de maître est pleine d’histoire de ses anciens occupants. La plus ancienne mention les concernant nous reporte à la fin du XVIe siècle, et l’on découvre un Jean Petitpied, seigneur, entre autres, de la Rocatelle. Sa fille Hélène épouse Jacques le Boucherat, qui devient ainsi nouveau seigneur de ce domaine en 1601. Autorisé par le roi, en 1609, à élever sur ses terres, des « fourches patibulaires », il meurt en 1625.

 Son fils Jacques II lui succède, l’année suivante. Membre de l’élection de Troyes, il devient ensuite « maître d’hôtel du roi » et cède bientôt la place à son fils Charles qui naquit de Gabrielle Rémond, son épouse. Auparavant, il avait donné, en échange d’un arpent de pré de l’Eglise, 5 quartiers de pré, lieudit le Poirier au Héron, tenant d’un bout à la rivière d’Hozain et d’autre sur les champs de Molesme, avant de léguer, en 1650, tous ses biens à ses enfants, ce qui lui permettra d’évoquer son âge, 75 ans en 1674, et le fait de n’avoir plus rien qui lui appartienne, pour ne pas répondre à la convocation qui lui sera faite de partir au service du roi. Il est vrai que c’était l’époque de la Fronde, et que Jacques et Charles Boucherat, père et fils, se targuaient de n’être pas d’accord avec le monarque. Ils avaient suivi en 1649, au Palais royal à Troyes, cette assemblée générale préparatoire aux Etats-Généraux, qui avait voulu se prendre plus au sérieux qu’il n’aurait fallu. Un auteur anonyme en a raillé les participants :

 « Les seigneurs de la Rocatelle

 Couverts de clinquants et de dentelles,

 Leurs panaches sur leurs chapeaux

Parurent presque les plus beaux ».

 

Charles avait donc hérité du fief quand il épousa, en 1650, Anne de Chastellux, baronne d’Avignot. C’est lui qui fit, sinon reconstruire la maison, « autrefois toute simple, avec grange et pourpris (enceinte, enclos), 250 arpents de terre, pré et bois », mais qui la fit transformer, puisqu’en 1718, c’était un château qu’il habitait. Charles Boucherat eut à répondre plusieurs fois à des convocations adressées par le Bailli de Troyes. L’une d’entre elles ordonne « aux gentilshommes et autres sujets au ban et arrière ban de Sa majesté ci après nommés… de se trouver au mardi 24 du présent mois (en 1691), 4 heures après midi, au devant du palais royal de Troyes, montés et équipés, pour l’exécution des ordres du Roi... ». Il fut maître d’hôtel du roi, cornette, puis capitaine. En 1693, un an avant sa mort, il occupait la place de « guidon », c’est-à-dire la seconde place après l’officier d’une compagnie de cavalerie. Il meurt sans laisser de descendance. Son épouse le suivit jusqu’au 1er août 1713. Elle était âgée de 75 ans, et fut inhumée « proche son banc, dans le chœur de l’église de Rumilly ».


 Le domaine est alors loué à Edme Joly, jusqu’à ce qu’il soit vendu, en 1718, par Achille Balthazar de Fourey (fils d’Henri et de Madeleine Boucherat), à Charles, Armand Flobert, écuyer, gendarme ordinaire de la Garde du Roi, demeurant à Troyes, qui laissera son nom à un lieudit de Rumilly, « le Pré Gendarme ». Il eut plusieurs enfants qui ne vivront que peu de temps. Il reste donc sans héritiers directs. Un de ses cousins prend sa succession, Louis Lerouge, qui épouse en 1737, Edmée, fille d’Edme Jolly, bailli gruïer de Rumilly. Celle-ci meurt l’année suivante, en donnant naissance de jumeaux.

 La propriété passe ensuite, vers 1757, à Claude Labille, parent des Joly, et changeur pour le roi à Bar-sur-Seine. Celui-ci cumule le titre de seigneur de la Rocatelle et la charge d’amodiateur de la seigneurie de Rumilly. Il décède en 1781 et est enterré à Rumilly.

 Etienne Charpy Labille est signalé en 1784, et Madame Veuve Charpy Labille Marie Ursule, qui y demeurera pendant toute la période révolutionnaire. Elle recevra, après 1793, les prêtres insermentés, leur offrira asile, mettra à leur disposition se chapelle particulière, et favorisera, en cas de danger, leur fuite du côté de la forêt. Elle résiste aux réquisitions et, régulièrement, quand la loi se fait moins rigoureuse, déclare « choisir sa chapelle pour l’exercice du culte catholique ».

 Une des nièces de la propriétaire, Marie, Marguerite Charpy, épouse en 1800, Jean-Baptiste, Parfait Recoing, qui entre donc à la Rocatelle. Un de ses fils nait sourd-muet, ce qui l’amène à se consacrer aux études pour le soulagement de cette infirmité. Son autre fils, Pierre-Antoine fut nommé trésorier de la fabrique, où il passe 4 années d’efforts consacrées à la réparation de l’église, puis est élu président en 1864. Pierre, Antoine Recoing fut élu maire de Rumilly le 30 avril 1871. Il invitait tous les lundis de Pâques à la Rocatelle, les ouvriers qu’il comptait employer pour la moisson et leur offrait des « roulées ». Ceux qui acceptaient de manger les œufs durs avec lui, étaient virtuellement engagés pour les travaux de l’été. En 1876, les 2 familles Recoing quittent la commune.

 Les plans des locaux actuels ne correspondent plus à ceux des anciens bâtiments. La grille splendide qui s’ouvrait à l’entrée de la cour principale, et qui était encore en place en 1930, a disparu, quand Messieurs Rietsh devinrent propriétaires du domaine. Ce sont eux qui équipèrent la Rocatelle d’une scierie mécanique destinée en plus à alimenter la propriété en électricité.

 Aujourd’hui, on s’interroge toujours sur la présence d’os humains dans les murs de la clôture sud de la cour. On s’inquiète également de la sonorité qui existe encore sous l’escalier du bâtiment principal, parce que l’on sait qu’on y a autrefois découvert une cavité, sorte d’entrée d’un souterrain possible.

 La Rocatelle d’aujourd’hui n’est plus qu’une ferme comme les autres, au sud-est de Rumilly, dans la direction de Jully, sur la route de Fouchères à Vougrey.    


 Comment La Rocatelle est devenu lieu de recueillement

 


Érigée en 1997, la stèle en l’honneur des 44 soldats tués les 16 et 17 juin 1940 entre Vougrey et La Rocatelle accueille depuis un hommage annuel. Retour vers le passé.

 Au point de départ, un ouvrage. Le combat des obscurs de Roger Gallery, paru en 1996. Un livre consacré aux héros aubois de la Résistance. « Ce massacre était évoqué, mais de manière vague. Nous ne voulions pas que ces faits demeurent inconnus », se souvient André Lacroix, alors premier magistrat de Jully-sur-Sarce et proche de l’auteur. Les autres maires des communes concernées (Vougrey, Lantages, Rumilly-lès-Vaudes) et lui, en compagnie de Bernard de la Hamayde et Jean Daunay, se sont alors rapprochés dans le but de faire ériger une stèle, sur les lieux de La Rocatelle, le long de la RD81, en face de la ferme.

Près de 500 personnes lors de la pose de la première pierre

En parallèle, un comité, « sans statut, mais avec un compte en banque », est créé en 1997. André Lacroix est désigné président. Un poste qu’il occupera pendant 20 ans, jusqu’à la reprise en main récente de la municipalité et du Souvenir français pour la cérémonie et l’entretien du monument. « L’argent qui restait est revenu au second ».

Quant au financement de la stèle, outre les subventions communales oscillant entre 1 500 et 3 000 francs, une souscription publique est lancée. « Elle a recueilli des dons de particuliers de nombreuses communes extérieures (jusqu’à Saint-Florentin dans l’Yonne), pouvant aller jusqu’à 500 ou 1 000 francs. Une belle générosité qui ne se verrait plus forcément aujourd’hui », estime André Lacroix.

Pour « un coût de 36 780 francs », la stèle a vu le jour, tout au long de l’année 1997. Le 4 mai, une cérémonie de la pose de la première pierre est même organisée, en présence du général Porret et d’une forte délégation de militaires. « Deux cars étaient venus », confie Jacqueline Lacroix, l’épouse d’André, très impliquée dans l’organisation. « Nous devions être proches des 500 personnes. Ce sont des choses que l’on n’oublie pas », ajoute le mari. Surtout que des entreprises locales, notamment pour la confection du terrain, ont joué le jeu en fournissant leurs services sans contrepartie.

L’inauguration du monument entièrement réalisé a eu lieu quelques mois après, le 27 septembre. Cette année marquante, le couple Lacroix l’a consignée dans un livre d’or, fait de photos et de textes, notamment du regretté Roger Gallery. Quant aux cérémonies suivantes, organisées le plus proche possible des dates anniversaire, elles ont bien sûr perdu en affluence au fil du temps. Même si l’amicale du « 15-1 » est fidèle au poste. « Nous ne sommes désormais guère plus qu’une centaine », constate André Lacroix. Qui, à 88 ans et si sa santé lui permet, entend bien être à La Rocatelle le 23 juin prochain.

 


 

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