La Porte de Croncels, de Cronsciaulx, Portam de Cronciaulx, Portam de Creuncellis, du Saint-Esprit ou de Bourgogne
Au nord de la ville de
Troyes, à l’endroit où aboutissait autrefois la route de Bourgogne, appelée
ensuite route Impériale n° 71, s’ouvrait la Porte de Croncels. Cette
porte était la plus ancienne de Troyes, elle existait, avec une herse
en 1125. Elle est désignée sous le nom de Porte de Cronciaux dans un
titre de fondation de Saint-Etienne, au XIIe siècle,
ce qui prouve qu’elle fut l’œuvre des comtes de Champagne. Le nom
de Cronciaux ou Croncels lui vient d’un village ainsi
appelé, qui postérieurement a formé le faubourg, et dont il est fait mention
dans un diplôme de Charles II, sur la cession du comte Aledran, en faveur de
l’abbaye de Montier-la-Celle. Une charte de 1157 la nomme Portam de
Creuncellis. En 1364 et en 1396, cette porte est appelée Porte du
Saint-Esprit, à cause de l’hôpital du Saint-Esprit, qui était dans son
voisinage. Elle est encore nommée Porte de Bourgogne, parce qu’elle était
à l’entrée de la ville du côté de cette province.
Dans son état primitif, la
porte de Croncels se compose d’un porche à arcades en ogives avec des coulisses
pour la herse. Deux pavillons carrés en pierre de Bourguignons
existaient de chaque côté, et étaient reliés par un étage au-dessus du porche.
Là se trouve la chambre du guet. On montait à cette chambre par un
escalier de pierre latéral au mur de rempart. Le tout est surmonté de trois
combles avec un petit campanile dans lequel est la cloche
d’alarme pour le quartier.
Au rez-de-chaussée de
chaque pavillon il y avait une salle de gardes, ayant entrée du côté de la
ville par une porte à deux battants. En dehors, vers le faubourg, il y a un
pont-levis et un petit pont dormant pour les gens de pied, sur le large fossé
que remplissent les eaux de la Seine.
Le 22 mai 1510, Jehan
Guayde quitte l'église de la Madeleine pour se rendre à la porte de Croncels.
Là, une visite de la vieille porte est faite en présence du maire, des
échevins et du gouverneur de la province : « il convient de faire un
devis et à le montrer à seigneur le gouverneur et autres », ce qui
est fait.
Mais ce n'est qu'en mai 1511, que Jehan Gayde dessine « 3
projets pour les ouvrages de maçonnerie ». En juillet, on lui
demande de perfectionner ses projets.
Le 29 octobre, le
gouverneur et les autorités locales se rendent à la porte de Croncels et
là est enfin définie la forme que prendra le nouvel édifice.
En janvier 1512, le
gouverneur envoie Jehan Guayde 8 jours " en la ville de Mouzon
voir la tour qui vient d'y être construite et s'en servir pour celle de
Croncels ".
La première pierre de ce
grand chantier est posée le 26 avril 1512, et c'est le départ d'un édifice
important qui devait s'élever sous la direction de notre
maître-maçon. Il conduit rapidement la maçonnerie des
deux tours de la porte de Croncels pour que celle-ci arrive bien
au-dessus du niveau de l'eau des fossés. En raison de la période troublée,
Jehan Gayde arrête ses travaux.
En 1524, dans le grand
incendie qui consume le Quartier-Haut, la porte de Croncels est réduite en
cendres, il ne reste que les gros murs. Elle est reconstruite quelques années
après. Le porche est prolongé et flanqué de deux grosses tours
demi-circulaires. Ces annexes reçoivent de l’artillerie. Une longue voûte,
s’ouvre entre les deux tours, et conduit par un pont-levis dans
l’intérieur. A l’étage supérieur, il y a aussi des meurtrières. Un petit
clocher est érigé en 1568, avec une cloche de guet. Au-dessus de la
porte et sous les fenêtres de la chambre de guet, on lisait sur une pierre
polie, les vers suivants, en latin, posés en 1615 : « Pour
ses murs, pour sa porte et pour lui Troyes espère dans l’appui généreux du fils
et de la mère ».
Pendant le XVIIIe siècle, elle fut réparée plusieurs fois, le
pont-levis, hors service fut supprimé, il n’en resta que les culées de pierres
sur lesquelles on établit un pont de bois fixe, qui finit par disparaître avec
le fossé.
La porte de Croncels a vu
sous son porche plusieurs réceptions solennelles.
En novembre 1582, les députés des 13 cantons suisses, venus en
France pour renouveler leur alliance avec le roi Henri III, passent par Troyes. Ils sont reçus à la porte de
Croncels, harangués par le corps de ville en présence de la milice bourgeoise,
puis introduits et traités avec magnificence.
Le 4 juin 1588, le
cardinal de Guise, qui s’est récemment emparé de Reims et de Châlons, vient
devant Troyes pour entraîner les habitants dans son parti. Le prélat se
présente à la porte Saint-Jacques, mais les officiers municipaux, prévenus
par un ordre du roi, refusent de le recevoir. Il tourne la ville et vient à
la porte de Croncels, où la garde le somme de se retirer. Quelques jours
après, avec l’appui des troyens favorables aux Guise, le cardinal est
introduit par cette porte. L’acte d’union est passé, le serment prêté, et la
ville de Troyes soumise à la Ligue.
En 1590, à la mort
d’Henri III, le pape Sixte-Quint
envoie à Paris le cardinal Cajetano son légat, pour empêcher Henri de
Béarn de monter sur le trône de France, tant qu’il ne serait pas dans le giron
de l’église romaine. Le cardinal arrive à Troyes le 9 janvier, avec
plusieurs prélats et officiers de sa suite. Le corps de ville prend ses
dispositions pour la réception. Le comte de Saint-Pol, qui commande dans la
ville, escorte le prélat avec 6.000 hommes. Les officiers du corps de ville vont
au-devant du cardinal jusqu’à Bréviandes. A la porte de Croncels, le dais
lui est offert, mais il refuse. Le clergé le conduit processionnellement à
la cathédrale, au son de toutes les cloches, les boutiques sont fermées et
les rues tapissées.
En 1629,
quand Louis XIII se
rend en Dauphiné pour aller avec une armée au secours du duc de Mantoue, il
passe par Troyes et entre par la porte de Croncels, sans cérémonial, le 23
janvier. Il vint loger chez le baron Louis Largentier, bailli de Troyes, à
l’hôtel de Chapelaines. Les officiers de ville vinrent y saluer le roi et le
complimenter. L’entrée officielle n’eut lieu que le jeudi 25 janvier, par
la porte de Beffroi. Le roi alla descendre chez M. Vestier, doyen de la
cathédrale, la reine-mère loge à l’évêché, le duc d’Anjou chez le promoteur
Denise, et le ministre Mazarin avec les siens fut reçu chez Me Angenoust.
En 1650, Louis XIV étant à Dijon, donne avis au maire de Troyes
qu’il passera par sa ville pour s’en retourner à Paris. La Cour arrive
par la porte de Croncels le 28 avril. Le 3 septembre 1653, la
marquise de Praslin fait son entrée à Troyes par la porte de
Croncels où elle est complimentée par le maire Pierre Denise.
Le 29 octobre
1663, les députés des cantons suisses catholiques, qui vont à Paris
renouveler leur alliance avec la France, arrivent à Troyes par la porte de
Croncels, où « ils sont reçus honorablement », et traités
splendidement au palais épiscopal.
Pendant le XVIIIe siècle, il ne se passa rien de remarquable pour la
porte de Croncels. Elle fut réparée plusieurs fois.
En 1805,
lorsque Napoléon 1er et l’impératrice Joséphine se
rendant en Italie, passent par Troyes, le maire de Troyes fait élever un arc de
triomphe à trois portiques, porté sur des pilastres d’ordre ionique, de 12
mètres de hauteur à la porte de Croncels. Sur la frise de
l’entablement on lit : « A Napoléon ». Dans le fronton sont
peintes des couronnes, et au milieu il est écrit : « Il les
mérite toutes ». La figure de la Paix et celle de l’Abondance s’élèvent
au-dessus des portiques établis de chaque côté. C’est par cette porte de
Croncels que le 3 avril, sort l’Empereur à cheval, pour inspecter la Seine. Le
lendemain, l’Empereur et l’Impératrice reçoivent à la porte de Croncels
les hommages des autorités et prennent le chemin de Bar-sur-Seine, au
milieu des acclamations de la foule enthousiaste. Le 6 avril, le pape Pie VII, avec plusieurs cardinaux, sort de Troyes par
la porte de Croncels, retournant en Italie, emportant les vœux des Troyens
édifiés de sa piété et touchés de son affabilité.
Au printemps de 1808,
la porte de Croncels est détruite, et est remplacée par des barrières de bois,
qui ferment l’entrée de la ville au midi.
L’Arche
Maury
Non loin de la porte de Croncels, du côté de la
Tannerie, le rempart enjambait le ru de la Vienne au moyen d’une arche appelé
arche « Maury » ou arche des Moulins-Neufs. Son origine remonte au XIIe
siècle. L’arche protégée par une grille amovible, était surplombée d’un
pavillon garni d’un mâchicoulis, mentionné en 1592. A la fin du XVIe on fit des travaux
à cette arche « pour passer et faire entrer les basteaulx jusques
au-dedans de ladite ville ». Le port de Croncels était effectivement
aménagé à cet endroit, sur la rive opposée.
L’arche Maury s’appelait aussi l’arche des
Moulins-Neufs en raison de la construction en 1424-25, de moulins situés juste
derrière l’arche et sur le ru de Vienne. D’ailleurs ces moulins furent
installés en deux partie dans la maison qu’occupait Pierre Maury, d’où
l’appellation d’arche Maury.
Deux grosses tours encadraient cette arche Maury.
C’était la tour des Moulins-Neufs, nom
donné en raison de la proximité des moulins du même nom et la tour
Saint-Gilles. Cette dernière tour fut démolie en 1536 par ordonnance de
Monseigneur de Villiers, commissaire aux fortifications, parce qu’elle
empêchait le tir des batteries de la porte de Croncels dans la direction de la
Tannerie. Ce devait être une grosse tour. Elle fut pourtant reconstruire mais
sur un plan plus petit, ceci peu avant 1551, semble-t-il. La tour des
Moulins-Neufs s’est aussi appelée tour Maury ou tour de l’arche Maury quand la
tour Saint-Gilles fut démolie, entre 1536 et 1551. Les deux tours
semi-circulaires subsistèrent jusqu’à la fin du XIXe. En 1885, on fit un égout pour
supprimer le gué de Croncels derrière l’arche Maury et dans l’intérêt de la
vente des terrains. Les tourelles et l’arche Maury furent démolies en 1886.
Au-devant de l’arche Maury, existait depuis très longtemps
un vannage et un déversoir que l’on avait surnommé le bouillon de Croncels.
C’est cette décharge du Bouillon de Croncels qui
alimentait en eau les fossés de la Tannerie, fossés qui furent comblés avant
1882.
Le
fort de Guise
Entre la porte de Croncels et la porte du
Beffroi, le rempart faisait retour à l’angle du lieudit Torchepot. A cet endroit,
était construite une grosse tour de pierre dont le nom de tour Boileau lui
était donné depuis le début du XVe
siècle. Des canonnières à cette tour sont mentionnées en 1465.
En 1531, elle était en si mauvais état qu’on se
demandait s’il ne fallait pas la démolir. En fait, le gouverneur de la
province, Claude de Lorraine, duc de Guise, ordonna la construction d’un grand
boulevard de pierre à l’endroit de cette tour. Le terrain de Torchepot fut
nivelé et préparé. Luis Pothier, peintre, fit le « pourtrait de ladite
tour » (le boulevard), et c’est le maître-maçon Martin de Vaulx qui
entreprit l’édification de ce grand boulevard. La première pierre fut posée le
12 octobre 1532 et l’achèvement n’eut lieu qu’à la fin du mois d’août 1541.
Ce boulevard englobait dans son enceinte, l’ancienne
tour Boileau qui fut restaurée. Il était composé de deux niveaux de casemates
percées de canonnières, de grands magasins d’artillerie et de munition et
couvert d’une grande plate-forme. Il avait la forme d’un grand triangle dont
deux des plus grands cotés qui n’avaient pas moins de quatre-vingt-dix mètres
de longueur, étaient censés protéger les approches de la porte de Croncels
d’une part, et de la porte du Beffroi d’autre part. Cette imposante construction
fut appelé boulevard de la tour Boileau, boulevard ou fort de Guise ou encore
tour de Guise.
En 1544, du mois de juin jusqu’au début du mois de
septembre, le maître-maçon Jean de Vaulx fit faire d’importants travaux aux
nombreuses canonnières du boulevard. Un jardin fut aménagé au XVIIIe
siècle sur la plate-forme supérieure du fort de Guise qui était loué en partie.
Rien de très important ne marque l’existence de ce
fort qui était de solide construction. Au début du XIXe, époque où
l’on voulait à tout prix faire disparaitre tous les vestiges des remparts de la
surface du sol, le fort de Guise était abandonné et laissé à des particuliers.
Un crédit fut voté en 1931 pour effectuer sa démolition. Le gouvernement
autorisa la destruction pure et simple du boulevard de la tour Boileau en 1832.
Les travaux furent rondement menés et procurèrent
une quantité importante de matériaux.
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