lundi 10 mars 2025

La Porte de Croncels, Arche Maury et le fort de Guise

 La Porte de Croncels, de Cronsciaulx, Portam de Cronciaulx, Portam de Creuncellis, du Saint-Esprit ou de Bourgogne


Au nord de la ville de Troyes, à l’endroit où aboutissait autrefois la route de Bourgogne, appelée ensuite route Impériale n° 71, s’ouvrait la Porte de Croncels. Cette porte était la plus ancienne de Troyes, elle existait, avec une herse en 1125. Elle est désignée sous le nom de Porte de Cronciaux dans un titre de fondation de Saint-Etienne, au XIIe siècle, ce qui prouve qu’elle fut l’œuvre des comtes de Champagne. Le nom de Cronciaux ou Croncels lui vient d’un village ainsi appelé, qui postérieurement a formé le faubourg, et dont il est fait mention dans un diplôme de Charles II, sur la cession du comte Aledran, en faveur de l’abbaye de Montier-la-Celle. Une charte de 1157 la nomme Portam de Creuncellis. En 1364 et en 1396, cette porte est appelée Porte du Saint-Esprit, à cause de l’hôpital du Saint-Esprit, qui était dans son voisinage. Elle est encore nommée Porte de Bourgogne, parce qu’elle était à l’entrée de la ville du côté de cette province.

Dans son état primitif, la porte de Croncels se compose d’un porche à arcades en ogives avec des coulisses pour la herse. Deux pavillons carrés en pierre de Bourguignons existaient de chaque côté, et étaient reliés par un étage au-dessus du porche. Là se trouve la chambre du guet. On montait à cette chambre par un escalier de pierre latéral au mur de rempart. Le tout est surmonté de trois combles avec un petit campanile dans lequel est la cloche d’alarme pour le quartier.

Au rez-de-chaussée de chaque pavillon il y avait une salle de gardes, ayant entrée du côté de la ville par une porte à deux battants. En dehors, vers le faubourg, il y a un pont-levis et un petit pont dormant pour les gens de pied, sur le large fossé que remplissent les eaux de la Seine.

Le 22 mai 1510, Jehan Guayde quitte l'église de la Madeleine pour se rendre à la porte de Croncels. Là, une visite de la vieille porte est faite en présence du maire, des échevins et du gouverneur de la province : «  il convient de faire un devis et à le montrer  à seigneur le gouverneur et autres », ce qui est fait.

Mais ce n'est qu'en mai 1511, que Jehan Gayde dessine  « 3 projets pour les ouvrages de maçonnerie ».  En juillet, on lui demande de perfectionner ses projets.

Le 29 octobre, le gouverneur et les autorités locales se rendent à la porte de Croncels  et là est enfin définie la forme que prendra le nouvel édifice.

En janvier 1512, le gouverneur envoie Jehan Guayde  8 jours " en la ville de Mouzon voir la tour qui vient d'y être construite et s'en servir pour celle de Croncels ".

La première pierre de ce grand chantier est posée le 26 avril 1512, et c'est le départ d'un édifice important qui devait s'élever  sous la direction de notre maître-maçon.  Il conduit rapidement la maçonnerie  des deux tours de la porte de Croncels pour  que celle-ci arrive bien au-dessus du niveau de l'eau des fossés. En raison de la période troublée, Jehan Gayde arrête ses travaux.

En 1524, dans le grand incendie qui consume le Quartier-Haut, la porte de Croncels est réduite en cendres, il ne reste que les gros murs. Elle est reconstruite quelques années après. Le porche est prolongé et flanqué de deux grosses tours demi-circulaires. Ces annexes reçoivent de l’artillerie. Une longue voûte, s’ouvre entre les deux tours, et conduit par un pont-levis dans l’intérieur. A l’étage supérieur, il y a aussi des meurtrières. Un petit clocher est érigé en 1568, avec une cloche de guet. Au-dessus de la porte et sous les fenêtres de la chambre de guet, on lisait sur une pierre polie, les vers suivants, en latin, posés en 1615 : « Pour ses murs, pour sa porte et pour lui Troyes espère dans l’appui généreux du fils et de la mère ». 

Pendant le XVIIIe siècle, elle fut réparée plusieurs fois, le pont-levis, hors service fut supprimé, il n’en resta que les culées de pierres sur lesquelles on établit un pont de bois fixe, qui finit par disparaître avec le fossé.

La porte de Croncels a vu sous son porche plusieurs réceptions solennelles.

En novembre 1582, les députés des 13 cantons suisses, venus en France pour renouveler leur alliance avec le roi Henri III, passent par Troyes. Ils sont reçus à la porte de Croncels, harangués par le corps de ville en présence de la milice bourgeoise, puis introduits et traités avec magnificence.

Le 4 juin 1588, le cardinal de Guise, qui s’est récemment emparé de Reims et de Châlons, vient devant Troyes pour entraîner les habitants dans son parti. Le prélat se présente à la porte Saint-Jacques, mais les officiers municipaux, prévenus par un ordre du roi, refusent de le recevoir. Il tourne la ville et vient à la porte de Croncels, où la garde le somme de se retirer. Quelques jours après, avec l’appui des troyens favorables aux Guise, le cardinal est introduit par cette porte. L’acte d’union est passé, le serment prêté, et la ville de Troyes soumise à la Ligue.

En 1590, à la mort d’Henri III, le pape Sixte-Quint envoie à Paris le cardinal Cajetano son légat, pour empêcher Henri de Béarn de monter sur le trône de France, tant qu’il ne serait pas dans le giron de l’église romaine. Le cardinal arrive à Troyes le 9 janvier, avec plusieurs prélats et officiers de sa suite. Le corps de ville prend ses dispositions pour la réception. Le comte de Saint-Pol, qui commande dans la ville, escorte le prélat avec 6.000 hommes. Les officiers du corps de ville vont au-devant du cardinal jusqu’à Bréviandes. A la porte de Croncels, le dais lui est offert, mais il refuse. Le clergé le conduit processionnellement à la cathédrale, au son de toutes les cloches, les boutiques sont fermées et les rues tapissées.

En 1629, quand Louis XIII se rend en Dauphiné pour aller avec une armée au secours du duc de Mantoue, il passe par Troyes et entre par la porte de Croncels, sans cérémonial, le 23 janvier. Il vint loger chez le baron Louis Largentier, bailli de Troyes, à l’hôtel de Chapelaines. Les officiers de ville vinrent y saluer le roi et le complimenter. L’entrée officielle n’eut lieu que le jeudi 25 janvier, par la porte de Beffroi. Le roi alla descendre chez M. Vestier, doyen de la cathédrale, la reine-mère loge à l’évêché, le duc d’Anjou chez le promoteur Denise, et le ministre Mazarin avec les siens fut reçu chez Me Angenoust.

En 1650, Louis XIV étant à Dijon, donne avis au maire de Troyes qu’il passera par sa ville pour s’en retourner à Paris. La Cour arrive par la porte de Croncels le 28 avril. Le 3 septembre 1653, la marquise de Praslin fait son entrée à Troyes par la porte de Croncels où elle est complimentée par le maire Pierre Denise.

Le 29 octobre 1663, les députés des cantons suisses catholiques, qui vont à Paris renouveler leur alliance avec la France, arrivent à Troyes par la porte de Croncels, où « ils sont reçus honorablement », et traités splendidement au palais épiscopal.

Pendant le XVIIIe siècle, il ne se passa rien de remarquable pour la porte de Croncels. Elle fut réparée plusieurs fois.

En 1805, lorsque Napoléon 1er et l’impératrice Joséphine se rendant en Italie, passent par Troyes, le maire de Troyes fait élever un arc de triomphe à trois portiques, porté sur des pilastres d’ordre ionique, de 12 mètres de hauteur à la porte de Croncels. Sur la frise de l’entablement on lit : « A Napoléon ». Dans le fronton sont peintes des couronnes, et au milieu il est écrit : « Il les mérite toutes ». La figure de la Paix et celle de l’Abondance s’élèvent au-dessus des portiques établis de chaque côté. C’est par cette porte de Croncels que le 3 avril, sort l’Empereur à cheval, pour inspecter la Seine. Le lendemain, l’Empereur et l’Impératrice reçoivent à la porte de Croncels les hommages des autorités et prennent le chemin de Bar-sur-Seine, au milieu des acclamations de la foule enthousiaste. Le 6 avril, le pape Pie VII, avec plusieurs cardinaux, sort de Troyes par la porte de Croncels, retournant en Italie, emportant les vœux des Troyens édifiés de sa piété et touchés de son affabilité.

Au printemps de 1808, la porte de Croncels est détruite, et est remplacée par des barrières de bois, qui ferment l’entrée de la ville au midi.

 


L’Arche Maury

Non loin de la porte de Croncels, du côté de la Tannerie, le rempart enjambait le ru de la Vienne au moyen d’une arche appelé arche « Maury » ou arche des Moulins-Neufs. Son origine remonte au XIIe siècle. L’arche protégée par une grille amovible, était surplombée d’un pavillon garni d’un mâchicoulis, mentionné en 1592. A la fin du XVIe on fit des travaux à cette arche « pour passer et faire entrer les basteaulx jusques au-dedans de ladite ville ». Le port de Croncels était effectivement aménagé à cet endroit, sur la rive opposée.

L’arche Maury s’appelait aussi l’arche des Moulins-Neufs en raison de la construction en 1424-25, de moulins situés juste derrière l’arche et sur le ru de Vienne. D’ailleurs ces moulins furent installés en deux partie dans la maison qu’occupait Pierre Maury, d’où l’appellation d’arche Maury.

Deux grosses tours encadraient cette arche Maury. C’était la tour des Moulins-Neufs,  nom donné en raison de la proximité des moulins du même nom et la tour Saint-Gilles. Cette dernière tour fut démolie en 1536 par ordonnance de Monseigneur de Villiers, commissaire aux fortifications, parce qu’elle empêchait le tir des batteries de la porte de Croncels dans la direction de la Tannerie. Ce devait être une grosse tour. Elle fut pourtant reconstruire mais sur un plan plus petit, ceci peu avant 1551, semble-t-il. La tour des Moulins-Neufs s’est aussi appelée tour Maury ou tour de l’arche Maury quand la tour Saint-Gilles fut démolie, entre 1536 et 1551. Les deux tours semi-circulaires subsistèrent jusqu’à la fin du XIXe. En 1885, on fit un égout pour supprimer le gué de Croncels derrière l’arche Maury et dans l’intérêt de la vente des terrains. Les tourelles et l’arche Maury furent démolies en 1886.

Au-devant de l’arche Maury, existait depuis très longtemps un vannage et un déversoir que l’on avait surnommé le bouillon de Croncels.

C’est cette décharge du Bouillon de Croncels qui alimentait en eau les fossés de la Tannerie, fossés qui furent comblés avant 1882.

Tourelle du Bouillon de Croncels

Le fort de Guise

Entre la porte de Croncels et la porte du Beffroi, le rempart faisait retour à l’angle du lieudit Torchepot. A cet endroit, était construite une grosse tour de pierre dont le nom de tour Boileau lui était donné depuis le début du XVe siècle. Des canonnières à cette tour sont mentionnées en 1465.

En 1531, elle était en si mauvais état qu’on se demandait s’il ne fallait pas la démolir. En fait, le gouverneur de la province, Claude de Lorraine, duc de Guise, ordonna la construction d’un grand boulevard de pierre à l’endroit de cette tour. Le terrain de Torchepot fut nivelé et préparé. Luis Pothier, peintre, fit le « pourtrait de ladite tour » (le boulevard), et c’est le maître-maçon Martin de Vaulx qui entreprit l’édification de ce grand boulevard. La première pierre fut posée le 12 octobre 1532 et l’achèvement n’eut lieu qu’à la fin du mois d’août 1541.

Ce boulevard englobait dans son enceinte, l’ancienne tour Boileau qui fut restaurée. Il était composé de deux niveaux de casemates percées de canonnières, de grands magasins d’artillerie et de munition et couvert d’une grande plate-forme. Il avait la forme d’un grand triangle dont deux des plus grands cotés qui n’avaient pas moins de quatre-vingt-dix mètres de longueur, étaient censés protéger les approches de la porte de Croncels d’une part, et de la porte du Beffroi d’autre part. Cette imposante construction fut appelé boulevard de la tour Boileau, boulevard ou fort de Guise ou encore tour de Guise.

En 1544, du mois de juin jusqu’au début du mois de septembre, le maître-maçon Jean de Vaulx fit faire d’importants travaux aux nombreuses canonnières du boulevard. Un jardin fut aménagé au XVIIIe siècle sur la plate-forme supérieure du fort de Guise qui était loué en partie.

Rien de très important ne marque l’existence de ce fort qui était de solide construction. Au début du XIXe, époque où l’on voulait à tout prix faire disparaitre tous les vestiges des remparts de la surface du sol, le fort de Guise était abandonné et laissé à des particuliers. Un crédit fut voté en 1931 pour effectuer sa démolition. Le gouvernement autorisa la destruction pure et simple du boulevard de la tour Boileau en 1832.

Les travaux furent rondement menés et procurèrent une quantité importante de matériaux.

La Tour Boileau



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